Nous sommes tous sa famille
Publié par L'École Des Loisirs
collection Médium
12 ans et +
1994
Résumé:
C'est la fin de l'été. Larkin, ses parents, sa grand-mère, et son ami Lalo regardent partir le dernier ferry pour le continent. À partir de maintenant, l'île leur appartient de nouveau, à eux et aux autres insulaires. Pourquoi, cette année, ressentent-ils ce moment comme un abandon ?
Est-ce à cause de ce drame récent dont personne ne parle, mais qui occupe l'esprit de chacun ?
" Il faudrait que quelque chose de nouveau et d'excitant arrive ", dit Byrd, la grand-mère.
Le destin la prend au mot. Posé sur les gravillons de l'allée qui mène à leur maison, il y a un panier. Dans ce panier, il y a un bébé qui pleure.
" Voici Sophie, elle a presque un an. Par pitié gardez-la. Je reviendrai la chercher un jour. Je l'aime." dit le message.
C'est le début d'un bonheur qui porte en lui-même sa fin.
C'est peut-être aussi une chance.
Mon avis: Je reviens avec ce roman de Patricia MacLachlan, car de tous ses livres, c’est définitivement mon favori. L'ayant lu fin septembre 2010, j’en suis à ma deuxième lecture. D’ailleurs c’est une histoire qui commence à la fin de l’été quand tous les touristes quittent l'île pour retourner chez eux. Larkin, la narratrice doit avoir environ 11 ou 12 ans. Elle vit avec son père John, sa mère Lilly, sa grand-mère Byrd et elle passe la majeure partie de son temps avec son meilleur ami Lalo. Une famille qui tentent, tant bien que mal, de retrouver un peu d'équilibre suite à la perte du petit frère de Larkin, mort le lendemain de sa naissance. Cette épreuve devient un peu tabou dans la famille, la peine étant trop grande pour en parler. On garde le silence sur cet épisode, mais Larkin aurait besoin d'en parler avec ses parents.
Chapitre 1
"Le soir venu, mon père dansait. Tout le jour il était calme et têtu, il travaillait à la rédaction du journal de l'Île. Mais le soir venu, il dansait.
Assis sur la balancelle de la véranda, Lalo Baldelli et moi plaquions nos mains contre nos oreilles lorsque la sirène du ferry de six heures retentissait, et, à l'intérieur, comme toujours, mon père se mettait à faire des claquettes sur la table basse. C'était une table recouverte de carreaux de marbre italien vert et bleu. Il dansait tous les soirs avant le dîner, après avoir grignoté six biscuits salés (Ritz) avec du fromage cheddar (extra-sec), entre le premier verre de whisky qui le rendait guilleret et le second qui le rendait triste.
Le reste de ma famille également suivait un certain rythme. Lorsque mon père commençait à danser, ma mère sortait de son atelier, couverte de peinture les jours où son travail n'avançait pas trop bien; et Mamie Byrd émergeait de sa sieste de l'après-midi, la mise en plis absolument intacte.
Ce jour-là, ma mère sortit sur la véranda chargée d'un saladier en Inox rempli d'une pâte à gâteaux qui semblait-il, n'était pas destinée à être cuite. Elle avait aussi à la main des cuillères pour Lalo et moi, ainsi qu'une grande spatule en bois pour elle.
"Je crois que ça devrait te plaire, Larkin", me dit-elle en me tendant une cuillère.
"C'est quel genre? demanda Lalo en jetant un coup d'oeil dans le saladier.
"Quatre épices", dit maman.
"C'est bien meilleur cru", dit Lalo.
Maman lui sourit.
"Tu l'as dit, Bouffi", dit-elle en prélevant une grosse cuillerée dans le saladier avant de nous le tendre.
Maman était couverte de taches et de traces de peinture, et j'aurais pu dire, d'après les couleurs, sur quoi elle avait travaillé. L'île. Bleu pour l'eau des étangs, le ciel et la mer; vert pour les collines - vert clair pour les herbages et les champs, plus foncé pour les bosquets de sapins. Maman était un paysage sur pattes. Quelque chose clochait, sans doute; c'était toujours mauvais signe lorsqu'il y avait plus de peinture sur maman que sur la toile. Cela voulait dire qu'elle s'était énervée. Maman me vit regarder son vêtements.
"Je n'arrive pas à me concentrer", dit-elle, d'une voix blanche et triste.
La fenêtre qui donnait sur la véranda s'ouvrit dans mon dos.
"Vous mangez de la pâte à gâteau?" demanda Byrd.
"Aux quatre épices", dirent maman et Lalo à l'unisson.
La fenêtre se referma, et nous entendîmes Byrd se glisser entre les portes en acajou de sa chambre. Elle apparut sur la véranda armée elle aussi d'une cuillère.
Lalo se leva pour lui laisser sa place.
"Quel amour", murmura-t-elle en s'asseyant, la main levée dans une pose élégante que maman qualifiait de royale.
"Super chaussettes", dit Lalo, ce qui fit rire Byrd.
"Des bas, ce sont des bas", le corrigea-t-elle. "Un jour, tu vivras peut-être ailleurs que sur cette île, tu sais, et tu verras des choses dont tu n'aurais jamais rêvé. Y compris des bas fantaisie."
Lalo regarda Byrd, horrifié, sa cuillère suspendue à mi-chemin entre le saladier et sa bouche.
"Pas moi", dit-il. "Je ne quitterai jamais l'île. Il y a tout ici."
Maman sourit d'un air complice.
"Presque tout", dit Byrd. Elle soupira. "Mais parfois, j'ai l'impression qu'il me manque..."
Elle s'interrompit soudain, et je la regardai, attendant qu'elle dise ce qui lui manquait. Je savais ce que c'était. C'était la même chose pour moi.
Extrait p. 11 à 17.
Je le savoure encore plus que la première fois. Une histoire qui m’invite malgré moi à rester accrochée à cette cellule familiale. Au chapitre deux, arrivera Sophie, une petite fille d'à peine un an, laissée dans un panier au beau milieu de l'allée menant à la maison.
"Je ne peux pas m'occuper d'elle maintenant, mais je sais qu'elle sera en sécurité avec vous", lut papa. "Je vous ai observés. Vous serez une bonne famille pour elle. Je la perdrais pour toujours si vous ne faites pas ça, alors, par pitié (sic), gardez-là. J'enverrai de l'argent dès que je pourrai. Je reviendrai la chercher un jour. Je l'aime."
Alors commence la vie avec Sophie qui se retrouve dans cette famille d'acceuil malgré eux. Le plus difficile est de ne pas s'attacher car ils savent qu'ils devront la rendre. Mais Patricia MacLahlan réussit à nous garder vraiment dans l'histoire. Une histoire remplie d'atmosphères agréables et écrite avec simplicité et beaucoup de doigté.
L'histoire commence à la fin de l'été et forme le cercle des saisons pour se terminier au début de l'été 10 ans plus tard.
Mais, mon personnage favori reste Mlle Minifred: "Mlle Minifred aimait les mots prodigieux. Elle aimait les débuts de livres et les dernières phrases. Elle aimait les subordonnées, les adverbes... p. 28
J'ai aussi retenu ce bel extrait à la page 150-151
"On dirait qu'il marche à l'intérieur d'un tableau", dis-je. (Larkin en parlant de son père).
Byrd et maman se tournèrent au même instant, regardant papa qui se penchait vers Sophie pour lui montrer quelque chose du doigt dans le ciel. Sophie posa sa main sur son épaule et regarda en l'air. Au loin, des cormorans volaient en ligne au ras de l'eau. Derrière eux, le ferry avançait lentement vers nous. Papa s'assit et prit Sophie sur ses genoux. Il se pencha vers elle, lui parla un long moment, puis ils levèrent tous deux les yeux vers le ciel. Le vent cessa soudain de souffler et le soleil sortit de derrière un gros nuage. Un grand silence se fit, ce grand silence qui s'étend partout sur l'eau lorsque les vagues cessent leur fracas.
"Comme c'est beau", murmura Byrd.
Je regardais maman observer papa et Sophie. Il y avait quelque chose de moitié triste et moitié gai dans son visage.
"Le printemps", répondit maman dans un souffle de voix.
Mlle Minifred nous avait dit un jour que la vie est faite de cercles.
"La vie n'est pas une ligne droite". avait-elle expliqué. "Parfois nous revenons dans la passé, comme sur un cercle. Mais nous ne sommes plus les mêmes. Nous avons changé pour toujours."
Je donne un 10/10 à ce magnifique petit roman de 181 pages.. Je m'arrête ici, car si je m'écoutais, je copierais le livre en entier au lieu des extraits: Vous aurez compris que j'ai beaucoup aimé.
Un autre avis favorable ICI