La respiration du monde
Publié chez Leméac
2010
166 pages.
Résumé: Mrs Greens continue de tenir pension dans son cottage, même si elle n'a plus qu'une seule cliente désagréable. Elle receuille tous les souvenirs, heureux ou malheureux, qu'elle croise sur son chemin.
Quatrième de couverture: Pendant les quelques jours que raconte ce roman de Marie-Pascale Huglo, et qui seront peut-être les derniers de Mrs Greens, on ne peut s'empêcher de penser à La Promenade au Phare de Virginia Woolf, d'entendre ce même murmure de la mer et cette même voix de femme accomplie qui sont comme la respiration du monde, l'art de mourir et de naître sans cesse, en se tenant devant la beauté des choses vivantes comme sur cette crête au milieu de notre souffle, là où le souffle commence précisément quand on croit qu'il va manquer.
Mon avis: J'ai été attirée par la beauté du titre. Je n'ai pas ressenti de lourdeur tout au long de la lecture. Au contraire, l'auteur présente une image si sereine du paysage tout entier, qu'on ressent plus une détente profonde qu'une appréhension.. Juste la vie qui coule tranquille. J'étais très bien en compagnie de Mme Greens et son ordinaire, ses occupations avec sa seule cliente Mme O'Hara presque militaire dans ses habitudes de vie. Rose, Liam, ... Voici un extrait:
"Elle le savait déjà, plus ou moins, cet après-midi là, quand elle avait pris le chemin des collines pour aller chercher la viande de l'autre côté, alors qu'elle se sentait revivre dans les reflets du ciel et le parfum des herbes qui bruissaient dans le vent. Ce bonheur fou qui l'avait happée lorsqu'elle avait émergé des longues tiges au milieu desquelles sinuait le chemin! Elle avait vu apparaître la déchirure de la côte jusqu'à Corkhead et, sur sa gauche, le moutonnement sombre des collines. Elle, pourtant pressée, s'était arrêtée, elle n'avait pu faire autrement que de s'immobiliser devant cela, offert. Sous ses pieds, le chemin s'était mué en mousse, une mousse drue qui résiste à tous les hivers, aux gelées, aux giboulées, aux tempêtes. À la beauté soudaine du paysage révélé se mêlait une douceur renversante, comme une naissance, elle, sortie du ventre des herbes et des ornières boueuses, elle, la sorcière, émergeant des entrailles végétales comme une force vive.
Quand, par la suite, elle avait pris le chemin des collines pour aller chez Terence dit le buffle, le miracle avait recommencé. Elle avait suspendu, chaque fois qu'elle émergeait du fouillis d'herbes, son pas, avait basculé dans l'immensité du monde subitement découvert, arraché au voile des choses vivantes, du monde jeté là, entre mer et terre, qui la traversait de part en part tandis que, sous ses pieds, s'épanouissait une mousse d'au moins mille ans. Chaque fois cela avait recommencé, même en l'absence définitive d'Elisa et encore après, quand elle y allait à reculons, voir le buffle, il y avait eu ce moment d'éblouissement sur le chemin, cette ivresse pure de la naissance du monde."
Mrs Greens avait rempli d'eau frémissante la théière de porcelaine blanche, une de ces théières ramassées et ventrues pour une personne, qu'on ne trouve plus guère dans le commerce. Elle contenait trois grandes tasses, contrairement aux théières en inox qui, outre le goût de ferraille qu'elles donnent à l'infusion, contiennent à peine de quoi remplir deux tasses. La seule fois où Mme Green avait consenti à s'offrir un thé en ville, pareille misère l'avait mise dans une grande colère. Elle, toujours posée, avait vidé le fond de sa théière sur la nappe en nylon avant de sortir, sans saluer, sans payer. Elisa l'avait suivie docilement. Dans la rue, elles avaient ri..."
Juste cet extrait en dit long sur la beauté de l'écriture. Un roman à savourer lentement..
On parle d'un roman admirable. Vraiment un bel article pour ceux et celles qui veulent en savoir plus long sur ce magnifique roman.
Marie-Pascale Huglo