Sur la pointe des mots
Éditions Luce Wilquin
Littérature Française
119 pages
Quatrième de couverture: Sur le seuil de la maison que ses enfants ont quittée, une femme s'arrête. Mission accomplie. Hier encore, il y avait tant à faire...
Une vie devant elle. Autrement. Et à nouveau, tout découvrir.
Itinéraire inconnu, l'écriture pour seule boussole.
Elle s'offre le voyage... Vieillir. Habiter sa dernière saison, non comme un déclin à subir, mais comme un projet à nourrir. Dire qu'elle les aime à ceux qu'elle aime. Se faire légère.
Chemin faisant, elle rencontre à Uzès une femme qui a écrit au Moyen Âge un petit livre étonnant.
Connivence inattendue. Malgré les onze siècles qui les séparent, elles feront route ensemble avec l'ambition de tendre le relais, et la plume, à ceux et celles qui poursuivront l'histoire.
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Mon avis: Je dois débuter ce billet en remerçiant Jocelyne qui se reconnaitra sûrement si elle lit mon billet d'aujourd'hui. Un très beau prêt que tu m'a fait ;)
2 août 2013. J'ouvre ce livre comme on ouvre les portes d'un palais. Je n'ai pas assez de mes deux yeux pour tout prendre... Je voudrais lire la phrase d'un seul trait, je voudrais revenir en arrière pour voir si je n'ai pas échapper aucun mots..
Je fais la rencontre d'une écrivaine qui vit très loin de chez moi et elle met des mots que je reconnais: des incertitudes...De par son grand âge et sa sagesse, elle nous dit que oui, on a le droit d'être habitée de paradoxes, de noir et de blanc, de contraires et de savoir ce qu'on ne veut pas et ce qu'on aimerais mieux..
«La vie m'a appris l'éloquence des détails. C'est par là, peut-être, qu'il me faut modestement commencer ma recherche. Des préférences bien à moi, des soifs, des façons d'être ou de sentir me mèneront, plus sûrement sans doute que de savantes considérations, vers ceux dont la sève irrigue mes veines.
Les repères sont minces: j'aime le bleu mais parfois le trahis, vire au rouge et, c'est comme une urgence, je bazarde tout ce que j'ai joliment collectionné de bleu: flacons, bibelots, porcelaines...Je ne vide jamais une tasse de café, ni un verre d'eau, laisse toujours un fond. Je suis curieuse des maisons, des mots, des gens. Adolescente, je me suis plu à m'imaginer un ascendant en Europe centrale, ou aux confins sauvages de la Russie: cette émotion dans le ventre à l'écoute des chants slaves ne pouvait me tromper, ni ces plongées en apnée dans les romans touffus, où les personnages ont des noms compliqués et des histoires complexes. Je crains la solitude. J'aime être seule. Je regrette l'époque où les femmes portaient les juspes longues et amples qui font la silhouette gracieuse. Je préfère être une femme, le noir et le blanc à la couleur, le dessin à la peinture. Les voyage? Les ailleurs? Je ne sais pas. J'aime partir et je déteste quitter.
Quitter est un mot froid...Je vais me faire une tasse de café, cela me réchauffera. C'est pour apprivoiser ce mot-là que j'ai commencé à écrire. Comme Dhuoda. Comme Dhuoda qui a composé son manuel pour un fils qu'on lui a enlevé et qui termine en lui confiant l'épitaphe à inscrire sur sa sépulture quand elle s'en irait, bientôt peut-être. Aurait-t-elle pu, sans vertige, imaginer qu'au delà de l'an 2000, d'autres visages se pencheraient sur le miroir tendu? Que d'autre mains, à sa suite, prendraient la plume ou le clavier peu importe l'outil?
Je vais tenter moi aussi de dresser un miroir entre hier et demain. Ou après-demain, pour les enfants des enfants de mes enfants...»
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Quelle sagesse que cette Madame Marie France. Un livre de chevet, de réflexions sur les réalités de la vie, mais aussi de ses côtés plus....difficiles.
Marie France Versailles, ne parle pas que d'elle et de ses enfants. Il y a une autre vie en parralèlle; celle de Dhuoda en l'an 840.
Onze siècles séparent ces deux femmes. Dhuoda a dû laisser partir son fils à la guerre. Pour en atténuer sa peine, elle lui a écrit et c'est en réponse à ce petit livre que M.F.V. écrit à son tour son petit livre à elle. À son tour, elle parle à ses enfants.
Voici un extrait vidéo d'une entrevue avec cette charmante dame!
Surtout à ne pas manquer.
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J'aime déjà relire des passages. Comme celui de la page 13.
«Nostalgie? D'un battement de paupières, j'en chasse la menace. Nostalgie est un beau mot, plein de couleurs et d'images, mais piège aussi. Je sais qu'il me faut le museler, lui tenir tête quand le coeur, faible, est prêt à céder.
Je ne connais qu'une recette, éprouvée de longue date. Fuite ou confort? Fuite et confort. C'est dans ma nautre: je me mets à l'ouvrage. Toujours prêtes à l'emploi, les mains prennent le relais quand l'émotion menace de noyer le moteur. Elles ont hérité de la longue patience des routines quotidiennes, toujours recommencées, qui ont usé tant d'aïeules avant moi, mais leur ont, à elles aussi, sûrement, servi parfois d'alibi ou de refuge. Pour éviter de penser, de ruminer, d'échafauder, de pleurer. Il y a toujours une vaiselle en attente, un tiroir à ranger, des papiers à classer, du linge à faire sécher.
Une de mes filles, elle était petite, elle avait l'âge des questions qui dérangent, m'avait demandé quelle était dans les travaux de la maison ma tâche préférées. Cette petite fille, déjà femme, quémandait un mot de passe: Dis-moi, cela vaut-il le coup de grandir? Y aura-t-il, au bout du chemin, du plaisir à être, à faire? La liste des activités quotidiennes, indispensables et dérisoires à la fois, s'était émiettée dans mon cerveau avant que ne surgisse: étendre la lessive au jardin. J'aurais pu dire que toutes ont du sens, puisqu'elles nous sont utiles. Mais j'avais dit: J'aime étendre la lessive au jardin.
Il fait doux aujourd'hui: le soleil perce. Ce n'est pas encore la saison, mais tant pis, je vais faire sécher le linge dehors.»
J'ai vraiment aimer ce livre. 10/10