Un passage de Jenny Wingfield
Ma lecture du moment
Depuis le temps que je voulais lire ce roman, voilà que je me suis enfin décidée!
«Dans l'Arkansas des années 1950, deux enfants se révoltent contre la cruauté du monde adulte.
Swan, enfant espiègle et malicieuse, a onze ans. Depuis que son père, prédicateur, a perdu sa congrégation, sa famille s'est installée chez la grand-mère, Calla Moses.
D'une honnêteté inébranlable, les Moses n'éprouvent que du mépris pour leur voisin, Ras Ballenger, un éleveur équestre qui régente sa famille et ses chevaux avec une violence inouie.
Quand le petit Blade Ballenger, sauvagement battu, vient chercher refuge auprès de Swan, une amitié lie immédiatement ces deux êtres en quête de justice, mais aussi de tendresse. Face au renoncement des adultes, Swann se donne alors une mission: protéger Blade, enver et contre tous. Mais pourra-t-elle y parvenir sans se brûler les ailes?»
Voici le passage qui m'a vraiment accroché au roman... page 81 - chapitre 7
«Le petit chemin zigzaguait en lacets en s'amenuisant jusqu'à n'être pratiquement rien, mais un rien qui continuait à se dévider. Chaque virage promettait une nouvelle découverte. Promesse tenues. Un mince arbuste argenté par le clair de lune. Le ballet des étoiles reflété par les eaux turbulentes du ruisseau le long du sentier défoncé. Rien n'était ordinaire ce soir. Même les prés où paisaient les vaches et les enclos à moitié effondrés semblaient d'une autre planète.
Et le silence! On aurait dit l'immense calme d'une tempête de neige. C'était un signe, forcément. Un signe de bon augure. Seul un événement heureux là où régnaient habituellement les ténèbres. Oui, conclut Swan, un heureux présage, offert par une lune-promesse.
Voilà les pensées qui l'absorbaient au moment où elle déboucha du dernier virage devant la Maison. De dimension modestes, en bois brut terni par le temps, coiffée de tôle. Les fenêtres étaient éclairées, dorées sur le fond argent de la nuit. Dans la cour parfaitement entretenue, quelque chose brillait. Une carrosserie. Un pick-up. En dépit de la luminosité, on n'en distinguait pas la couleur. Mais Swan savait, dans la moelle de ses os. C'était du rouge.
Elle entendit un bruit mat, comme l'espèce de grognement qui vous échappe quand vous recevez un coup de poing dans le ventre. Il lui fallut une seconde pour s'apercevoir que c'était elle qui l'avait produit. Elle ne pouvait plus bouger. Son coeur s'était arrêté, sûrement.
Mais son cerveau, lui, n'était pas paralysé. Il filait à cent à l'heure, emballé, imaginant l'inimaginable. Ce petit homme-vipère (elle pense à Ras Ballenger) était-il caché par là, quelque part, se coulant dans le noir? Et s'il était en train de l'épier à cet instant même?
Elle pivota sur elle-même. Fuir. Jambes flageolantes, pieds de plomb. Courir à perdre haleine en trébuchant sur les ornières du sentier. Elle sentait la présence de Ballenger, derrière elle, dans son dos - et elle le devinait aussi là-bas, devant. Aucune direction n'était sûre. La brise de juin était son haleine chaude. Le bruissement des feuilles un chuchotement sinistre. Homme-serpent prononçant SSSwan dans un sifflement.
Swan se considérait comme une personne prête à tout. Mais pas à ça. Et pas non plus à ce qui arriva ensuite.
La lune (la grosse menteuse) se glissa derrière un banc de gros nuages. Et le monde fut plongé dans le noir. D'un seul coup, Swan ne voyait plus où elle mettait les pieds - elle tomba. Il n'y avait rien à quoi se raccrocher, rien qui puisse ralentir ou adoucir sa chute. Elle fit de grands moulinets avec ses bras, mais cela ne servait à rien.
Il lui sembla tomber pendant un éternité. Ce fut un roulé-boulé. Quand elle cessa de tomber, elle ne fit pas un mouvement tant elle avait peur de bouger. La raison pour laquelle elle avait peur de bouger, c'est que sa main touchait quelque chose de doux et de chaud: une autre main.
Ses yeux étaient fermés, elle prit garde de ne pas les ouvrir. Terrifiée à l'idée de soulever les paupières et de voir ce qu'il y avait à voir.
- Alors, t'est morte? demanda une voix.
Ce n'était pas la voix de Ballenger. Swan crut qu'elle allait mourir de soulagement. Elle ouvrit les yeux, juste un petit peu, pour scruter l'obscurité. Puis elle les ouvrit plus grand. Beaucoup plus grand. Elle se dressa sur son séant.
La personne qui lui parlait...était le petit garçon. Le petit garçon de Ballenger. Celui qui s'était pris une torgnole devant le magasin. Il était assis dans le fossé, vêtu d'un tricot de corps et d'un caleçon déchirés et sales. Un petit bonhomme tout maigre, les cheveux hérissés sur la tête. Il la dévisageait avec le plus grand calme. Swan se ressaisit assez pour cesser de trembler et le dévisager à son tour.
- Qu'est-ce que tu fais dehors? s'enquit-elle?
- J'attends.
- Tu attends quoi?
- De pouvoir rentrer.
- Rentrer où?
Le gamin montra du doigt la direction de la maison.
- Pourquoi tu peux pas rentrer maintenant?
- Parce que.
- Tu es trop petit pour rester tout seul dehors la nuit, dit Swan. Pourquoi tu peux pas rentrer, dis?
Le gamin répondit par un haussement d'épaules. Swann soupira. Elle devinait trop bien, hélas!