Un bal chez les fleurs - partie 3 et fin!
Poète - Le champignon se dresse. Il veut venger la reine; il crie son dégoût aux irrespectueux intrus, clic! On lui coupe le tronc et on l'enfourne avec les autres dans le sac. Les derniers seigneurs relèvent une tête fière. Clic! Dans le sac eux aussi. Et les voilà partis!
Alors moi, je n'ai plus rien à faire ici que de quitter la place à mon tour. Je me demande si ces hommes comprennent le langage des fleurs.
* * *
Reine - Mes amis, mes sujets, mes très chers. Je cache depuis quelques jours un secret à mon peuple, un tourment, une détresse. Pour l'oublier, j'ai commandé le bal mais le bal ne l'a pas dissipé. Publiquement j'ai une confession à faire. Il y a cinq jours, j'ai blessé au doigt un enfant humain, un petit qui jouait au parterre des Pousse-Bleues. Il s'est approché trop près, je l'ai piqué. La piqûre a dégénéré en blessure où s'est infiltré le poison: la gangrène. Un de mes messagers, un papillon rouge, qui voyageait des fenêtres de l'enfant à ma demeure royal, m'apportait les nouvelles. Hier, il m'apprenait qu'on devait couper le doigt à l'enfant. Voyez ici, cette épine et le sang humain dessus. Je dis adieu à mon royaume, l'on va me détruire moi et ma race, mais je déclare...
Champignon - Majesté, reine, gracieuse dame...permettez-moi...
Reine - Qui est-ce?
Champignon - Je suis un champignon qui demande à votre majesté une faveur extraordinaire.
Pissenlit - Arrière, fou!
Reine - Laissez-le parler. Laquelle, champignon?
Champignon - Qu'on prenne ma vie qui ne vaut rien à la place de celle de votre majesté!
Reine - Tu m'émeus! Je te rends grâce, champignon. C'est toujours la même histoire: dans les bonheurs ne sont présents que ceux qui sont connus, dans les malheurs surgissent les inconnus. Je te remercie champignon. Garde ta vie. Me faire un tel présent, dis-moi, pourquoi?
Champignon - S'il fallait que les roses disparaissent des jardins, pensez donc... tandis que la disparition de ma race ne ferait pas un grand vide. Si ces messieurs du laboratoire comprennent le langage des fleurs, qu'ils me prennent à votre place et vous allez voir un petit champignon heureux...
Pissenlit - Il n'a qu'à offrir que de la pourriture!
Champignon - C'est vrai. Mais je l'offre, mais je la donne. Qui dit que la pourriture ne vaut rien? Qui peut dire que ce n'est pas elle qui sauvera le monde? Prenez-moi. Collez-moi sur la blessure de l'enfant, je vous le dis. Vous verrez des choses qui vous dépasseront.
Poète - Le savant du laboratoire comprenait le langage des fleurs. Touché par ce discours du champignon, il l'écouta, il prit sa vie et vous savez la suite. L'enfant fut guéri presque miraculeusement. Vous savez comment aujourd'hui a nom cet obscur citoyen du parterre des Pousse-Bleues. Vous savez que dans des voûtes hermétiques, on conserve de par le monde le champignon sauveur. Inutile d'ajouter que la reine fut remise en liberté et tous les citoyens du parterre des Pousse-Bleues. Le soleil plane de nouveau sur les plantes qui ont retrouvé paix et amour, mais depuis cette histoire, on dit que les roses noires ferment leurs corolles plus à bonne heure que les autres, en signe de respect à la mémoire du champignon.
Violette - C'est ici qu'il habitait, le petit champignon.
Pissenlit - Lui? Entre nous, c'était un exalté.
Violette - Comment oses-tu dire? Il nous a sauvé la vie à tous!
Pissenlit - C'était quand même un exalté!
Violette - Avoue que nous n'avons pas son génie.
Poète - Une morale de cette histoire circule maintenant chez les plantes. N'importe quelle herbe à la puce ou chiendent sans éducation peut vous l'interpréter: Il ne faut jamais dire de quelqu'un qu'il ne vaut rien, puisque même la pourriture sert à sauver le monde!
FIN
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