Passage de Denis Pelletier - la suite de: «La jouissance du presque rien»
Stephen Darbishire
La jouissance du presque rien
suite...
«On dirait que le sentiment d'être à l'abri avive la sensibilité, crée en soi une ouverture. Les mailles intérieures se desserrent, le tissus humain se décontracte. Se révèle un être ...sans résistance, en attente des choses.
Quand on est ainsi, en attente des choses, on se fait complice de ce qu'on accueille. La boisson chaude qu'elle soit café, thé, infusion, peu importe, n'entre qu'à petites gorgées délectables. Le bol où la coupe , que l'on tient de préférence entre ses mains, fait un foyer irradiant. La chaleur passe par les mains en même temps que par la gorge. L'effet pénétrant se double d'un geste de protection, car c'est de soi-même que l'on prend soin.
L'intime existe en fonction de l'infime, parce que l'infime permet à l'être humain de se laisser aller à la plus grande ouverture, à la plus belle extravagance d'être.
Il existe aussi des saveurs intimes. Je place, pour ma part, au plus haut rang le vin et le fondant.
Le vin d'abord. Clair, vif, sa qualité pénétrante s'impose. Il se répand tellement en nous qu'il nous rend ivre, qu'il nous réjouit jusque dans notre conscience. Il nous donne du sentiment, du don, de l'abandon. Avec lui, le goût d'aimer. Il rend le coeur chaud, le rajeunit, le nourrit de la belle saison. Entrent en nous les après-midi vibrants, les enracinements secrets de la vigne, les raisins enflés par trop d'été. Le vin nous pénètre comme une eau de feu, nous vivifie, nous purifie.
Quant au fondant, je ne sais pas si le terme est juste. Je veux désigner par là ce qui est sucré, légèrement de préférence, et qui se mange sans qu'on ait à le broyer, à l'agresser. Ce qui s'avale en douceur comme une mousse, une crème, un coulis. Bref, serait intime toute saveur dans l'ordre du mielleux et du moelleux.
Ce quelque chose qu'on a dans la bouche et qu'on laisse glisser lentement sans la moindre volition, que l'on retient sans l'effort de retenir, ce quelque chose comme un trésor qui ne délivre son plaisir que sous l'astuce d'une pression secrète, cette glace de notre enfance qu'on savait lécher de la plus savante façon.»