Un passage de Sarah Allegro
Vendredi 29 avril 2005
Matinée grise. D'autant plus grise qu'elle succède à un jour gris qui lui-même succédait à un jour gris qui, lui aussi, succédait à un jour gris... Même le gazon a l'air maussade. Et puis, dans toute cette grisaille, un éclat de soleil. Un éclat de soleil dans l'herbe mouillée: le premier pissenlit! Tout excitée, je crie à Grégoire: «Un pissenlit, un pissenlit, viens voir!»
Celle qui crie, ce n'est pas moi. C'est une petite Sarah de six ou sept ans. Une petite fille qui ne sait pas que ce soleil miniature, éclairant le gazon, est la hantise des jardiniers, des adultes qui aiment les belles pelouses bien vertes d'un bout à l'autre.
C'est une petite fille qui, en observant bien «La Dame du Larousse» et en se posant quelques questions, avait compris rapidement le principe de la multiplication des joies. Elle avait donc, par un beau matin de fin de printemps, cueilli toutes les têtes blanches des pissenlits fanés et soufflé, soufflé, soufflé sur les petits parachutes blancs.
Des jours, des semaines passèrent. Enfin, le miracle eut lieu. Alors que les gazons des voisins étaient d'un vert uniforme, ennuyeux, celui de la petite fille était couvert de superbes fleurs jaunes! Elle se prenait déjà pour une fée, une magicienne. Toutefois, quand sa mère s'était plainte à son père. «Veux-tu ben m'dire pourquoi on est les seuls à avoir des douzaines de pissenlits sur notre terrain?», la petite magicienne ne s'était pas vantée de son exploit. Elle avait conservé sa Joie pour elle.
Aujourd'hui, quand elle me voit froncer les sourcils en découvrant des dizaine de pissenlits dans le potager, dans les plates-bandes, dans le gazon, elle prend un petit air narquois.
Texte tiré du journal de Sarah Allégro