Un passage de Philippe Delerm 'C'est bien de...'
En général, c'est un jour où l'on aurait pu dormir, un dimanche, par exemple; mais justement, on n'a pas toujours envie de faire la grasse matinée. C'est bien de faire le contraire de ce que les autres attendent, et puis on sera fier quand les parents arriveront enfin et qu'ils seront très étonnés:
- Déjà levé? Et en plus tu as fait du café!
On se réveille très tôt, à la fin d'un cauchemard. On regarde le radio-réveil. Six heures et quart un dimanche, c'est fou, mais on n'a plus du tout sommeil. On se lève, et tout de suite on s'habille - si on se lève à cette heure-là, ce n'est pas pour traîner en pantoufles et en robe de chambre. Non, ce qu'on veut, c'est être déjà dans la vie quand les autres sont encore dans le sommeil. Le parquet craque un peu, mais on arrive à ouvrir la porte sans la faire grincer. Dans le couloir on n'y voit presque rien, mais on n'allume pas, et on marche à pas de loup jusqu'à la cuisine, le coeur battant, comme si on courait un grand risque.
On entrouve les volets. Il fait encore vraiment nuit, et pour longtemps. La cuisine est assez loin des chambres, alors on peut mettre la radio tout bas. Sur France-Info, ils sont déjà réveillés, et c'est assez étrange d'entendre les résultats des matchs de football: le monde bouge à toute vitesse, mais la maison est pleine de silence. On se dit qu'on va prendre un bon petit-déjeuner, mais finalement on préfère préparer d'abord le café des parent. ...
Voilà, le café est fait. On se dit qu'il y aurait un exploit beaucoup plus fort: aller chercher des croissants pour tout le monde - la boulangerie ouvre à six heures et demie. Mais il faut d'abord trouver de la monnaie.
On enfile un pull, on prend la clé, et on n'oublie pas de refermer la porte à double tour - qu'est-ce qu'ils diraient, s'ils se réveillaient? ils s'inqiéteraient, peut-être. Mais c'est bien de prendre ce risque - ça fait partie du jeu. Dehors, il fait très froid. On souffle devant soi des petits nuages, et on se sent tout à fait libre, léger, très différents des matins ordinaires. Il y a de la buée sur la vitrine de la boulangerie. Les croissants au beurre sont meilleurs, mais on n'a pas trop d'argent, alors on prend moitié-moitié, pour ne pas être ridicule au moment de payer.
Sur le chemin du retour, on prend un croissant dans le sac, et on le mange en marchant dans la rue bleue. Tout à l'heure, à la maison, ils seront à la fois un tout petit peu fachés et très contents.
C'est bien de se lever tôt le dimanche matin.
Et de terminer le dernier roman de Nicole Provence!
Je l'ai savourer du début, mais je dévore la fin.
Mon billet très bientôt!