Avec la vielle dame
Marie Gillet
Rue des Étoiles
190 pages
2021
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Quatrième de couverture
"Une femme tente de se reconstruire après la mort de ses parents. Devenus progressivement grabataires, elle s'en est occupées pendant dix ans, assumant pleinement son rôle d'aidante.
Au fur et à mesure du récit, elle livre des bribes de ce qu'elle a vécu et progressivement, réalise que ce qu'elle a vécu n'est pas que douleur, sacrifice et deuil. Oui, il y a eu la perte cruelle d'êtres chers qu'elle a vus dépérir jusqu'à en perdre toute figure humaine, mais il y a eu aussi la joie, l'amour et la vie au-delà de la mort.
Ce livre, donc, évoque une situation d'actualité, celle des aidants qui prennent soin de leurs parents âgés. Il décrit les petites morts successives de la perte d'autonomie ainsi que les sacrifices consentis par ceux qui restent jusqu'au bout auprès de ceux qu'ils aiment. "
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Mon avis
Un gros coup de coeur pour moi. Si j'ai mis tout ce temps (j'en ai débuté la lecture à la mi-janvier) la raison n'est pas que ce petit/grand roman, était ennuyeux. Au contraire, il vaut vraiment la peine d'être lu et tout doucement, pour moi du moins.
De un, parce qu'il apporte de belles pistes de réflexions sur l'importance de prendre le temps. Ensuite, on doit bien garder sa concentration car le style d'écriture est singulier. En ce sens que même si des personnes se parlent, il n'y a pas la 'formule dialogue' avec un petit trait à chaque intervention. Tout s'enligne en long paragraphe. Dès que j'ai eu saisi la façon, tout a bien été. J'ai pensé que cette façon d'écrire a dû demander une attention toute spéciale, puisque le résultat est réussi. Tout se tient et on reconnaît bien qui parle et qui répond etc..
D'ailleurs c'est un roman qui se lirait très bien à voix haute pour soi ou pour une autre personne.
Ce roman ne pouvait que me faire du bien. C'était comme me déposer devant la réalité sans maquillage. M'éveiller, comme il est plus sain de le faire devant la poésie du quotidien, quand les lumières aveuglantes des illusions et des mirages s'éteignent.
C'est un livre qui parle de la vie et de la fin de vie. Un sujet délicat qui demande à la narratrice cette capacité de nous amener et de nous garder avec elle tout au long du récit, et elle le fait très bien.
Surtout qu'en 2021, nous avons pour la plupart une population vieillisante. J'entends souvent parler de ce passage où des mères doivent s'occuper d'un ou des deux parents tout en continuant d'élever leurs enfants et leur travail.
Je comprends maintenant comment Marie sait si bien nous partager son quotidien sur son blog 'Bonheur du jour', qui se passe toujours dans l'instant présent ou la pleine conscience.
J'ai retenu quelques passages ...
"...un seul espace si aride qu'il s'était cassé comme peut le faire une branche morte. Clac. Elle avait tenu pour ses parents, tenu tant qu'il fallait tenir: elle avait été là pour eux jusqu'à ce qu'ils ne soient plus là pour elle mais c'était ainsi, la logique de la vie." Page 95.
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"Quand on ne travaille plus, soit parce qu'on a passé plus de quarante ans au boulot du matin au soir et qu'on peut être enfin à la retraite, ... on n'a plus rien d'autre à faire que de s'occuper de soi-même, il y a des moments qu'on apprécie encore plus que les autres dans ces journées sans horaires contraints. C'est le matin, ah oui, le matin, quand on peut prendre son café tranquillement sans avoir à se presser pour se préparer et partir en ayant bien conscience qu'on ne reviendra que le soir alors qu'il fera déjà nuit et qu'on constatera encore une fois qu'on n'a pas vu la maison à la lumière du jour depuis dimanche. C'est aussi le tout début de l'après-midi,... et qu'on a entendu les enfants partir pour l'école. Le temps a alors une sorte d'épaisseur. Il cesse d'être en fuite. Peut-être était-il ainsi à son origine, allant d'amble avec la respiration de l'Homme? Ce tout début d'après-midi est fugace. Il ne dure pas longtemps, voyons, une petite vingtaine de minutes, trente tout au plus, mais c'est l'instant où on entend mieux le silence qui le compose. Précieux silence. Trésor de vie. On entend distinctement l'horloge de la cuisine. Tic-tac. Tic-tac. Le petit réveil de la table de nuit au moment où on passe pour aller chercher un foulard dans la commode anglaise. Tic-tac. Tic-tac, c'est comme si on pouvait le toucher, ce temps si lent, voire l'étreindre car il n'est plus du tout impalpable. Bien au contraire, il est dense et onctueux." page 131.
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Je pense que la lecture de ce roman peut être un soutien moral à ceux et celles qui vivent une telle situation.
Enseignante pendant de nombreuses années, se consacre désormais à l'écriture, notamment sur son blog Bonheur du jour (http//:bonheur du jour.blogspirit.com) dans lequel elle glorifie l'instant présent, l'émerveillement et la contemplation qui aident à rester debout.