Laura Willowes
Préface de Geneviève Brisac
Publié chez Joelle Losfeld
2007
Littérature anglaise
260 pages.
Résumé:
A la mort de son père, Laura Willowes quitte sa campagne du Somerset pour vivre chez son frère à Londres.
" Laura, qui avait un peu l'impression d'être un morceau du patrimoine que l'on aurait oublié dans le testament était toute prête à admettre que l'on disposât d'elle au mieux des besoins de la famille. " Ce qui bien entendu fut fait. Elle n'a que vingt-huit ans, mais devient rapidement pour tout le monde la docile, l'insoupçonnable, l'immuable tante Lolly. Des années plus tard, elle commet quelques excentricités, jusqu'au jour où, lassée par la vie londonienne qu'elle trouve décidément trop étriquée pour elle, il lui prend la fantaisie de s'installer, seule, à Great Mop, dans la région des Chilterns.
Dans cette nature fantastique, Laura Willowes se sent chez elle. Elle peut enfin assouvir sa soif de liberté. " Elle avait l'impression de se réveiller d'un sommeil de plus de vingt ans ", écrit Sylvia Townsend Warner à propos de son héroïne.
Mon avis: Ce roman découvert chez Jo(sous les lilas) est presque un coup de coeur, si ce n'est que la troisième partie du roman m'a rendu perplexe.
Première partie: C'est le récit, le portrait, le quotidien de Laura Willowes jusqu'à l'âge de vingt-huits ans. Elle vint au monde 'à la lumière vive d'un matin glacé de décembre.'
p.14 - "Laura grandit à peu près comme une enfant unique. Quand elle sortit de sa petite enfance, ses frères étaient à l'école; quand ils revenaient aux vacances, Mrs. Willowes disait: "Maintenant, jouez gentiment avec Laura. Elle a nourri vos lapins tous les jours pendant que vous étiez à l'école. Mais ne la laissez pas tomber dans l'étang."
"Henry et James faisaient de leur mieux pour obéir aux recommandations de leur mère. Mais jouer gentiment avec une soeur tellement plus jeune qu'eux n'était guère possible. Ils remplissaient leurs devoirs de frères en lui enseignant la vraie façon de lancer et de rattraper, et, quand ils jouaient aux chevaliers ou aux Indiens, Laura remplissait forcément un rôle passif de femme. Ceci suffisait à sauver leur honneur; mais si au cours du jeu, on découvrait que la princesse glissée dans la remise auprès du cocher Brewer ou du crapaud Olivier Cromwell, qui vivait sous une touffe roussâtre de feuilles de violettes, près d'une cloche à melon, cela ne changeait pas beaucoup le cours des événements. Une fois même quand ils eurent attaché Laura, princesse captive, à un arbre, ses frères furent si bien absorbé par un série de combat singuliers en sa faveur, qu'ils oublièrent de venir la délivrer avant de faire serment d'amitié et de partir pour la Terre Sainte. Mr. Willowes, qui rentrait de la brasserie, au moment où les moucherons tourbillonnent au soleil couchant, s'avisa de traverser le verger pour voir si les lapins de garenne avaient encore arraché l'écorce de ses jeunes arbres; là, il trouva Laura, assise complaisamment dans ses entraves d'herbes sèches et se chantant à elle-même l'histoire d'un serpent qui n'avait pas de manteau de pluie. Mr. Willowes fut très ennuyé quand il apprit par le récit nonchalant de Laura ce qui s'était passé."
Ce passage est important dans cette première partie, car on peut voir que déjà Laura, fait partie des meubles.. Elle est incolore, inodore et sans saveur. Elle ne dérange jamais.
Laura était encore à la maison quand sa mère mourut et y resta jusqu'à ce que son père décèdent à son tour. De 28 à 47 ans Laura ira vivre chez son frère Henry et sa femme Caroline et ses deux nièces.
Après la guerre de 14-18, "Quand vinrent les jours meilleurs, on vit qu'ils étaient modelés aussi exactement que possible sur ceux du passé." Henry et Caroline ont une vie sans aucun changement.
Deuxième partie: Ils passent l'été à Lady Place et rentrent à Londre vers la mi-septembre. L'habitude était trop vieille pour être rompue. 'Les feuilles tombées au dire d'Henry et Caroline, rendaient la campagne malsaine après la seconde semaine de septembre. Quand Laura était plus jeune, elle avait essayé de discuter de ce point: même en admettant que les feuilles tombées fussent malsaines, les arbres étaient encore verts à ce moment-là. C'était de la casuistique, déclara-t-on. En se promenant dans le parc de Kensington, le premier dimanche après leur retour, Caroline désignait les allées qui se décoloraient et disait: "Vous voyez, Lolly, les feuilles commencent à tomber. Il était temps de rentrer à la maison." Permettez-moi ici, une remarque personnelle... En 2012, on appellerait cette fixation sur les 'feuilles qui tombent' un psychose ou un 'TOC' (Troubles obsessionnel compulsif) c'est certain. Ouf! J'étouffe juste à lire cette pauvre Laura prisonnière de cette famille aux idées très arrêtées.. Enfin...
Heureusement à la fin de cette page 73, précisément, c'est là que Laura reprendra les guides de sa vie.
"L'automne lui apportait de mauvais présages et il lui en coûtait de perdre presqu'un mois de répit par un voyage d'un jour. Regardant docilement les arbres du parc, elle se sentait reprise une fois de plus.
Ce que c'était exactement, elle eût trouvé difficile de l'expliquer. Elle se disait quelquefois que ce devait être le retour annuel de ses premiers mois si malheureux à Londres, quand son chagrin de la mort de son père était encore vivace. Aucun autre hiver, n'avait été si long et si froid, pas même les longs hivers froids de la guerre.
Son angoisse n'avait aucun rapport avec son existence. Elle s'élevait du sol avec l'odeur des feuilles mortes; elle la suivait dans les rues assombries; elle l'affrontait sous l'apparence de la lune qui se levait. "Maintenant, maintenant!" disait-elle, et rien de plus. C'était comme si la lune avait arraché les feuilles des arbres pour la fixer plus impérieusement. Parfois, elle essayait d'expliquer son trouble en se disant qu'elle vieillissait et que la mort de l'année lui faisait pressentir la sienne. Elle se comparait au gland mûrissant, qui par les jours et les nuits sans vent de l'automne, sent de plus en plus fort l'attirance de la terre au-dessous de lui. Cette explication était poétique et plausible, mais elle ne traduisait pas ce qu'elle ressentait. Elle n'éprouvait pas un désir intense soit de mourir, soit de vivre; pourquoi était-elle déchirée par cette anxiété?
À ces moments-là, il lui arrivait de rêver tout éveillée, un rêve spécial et si frappant qu'il était presque une hallucination: elle était à la campagne, au crépuscule, seule et étrangement paisible. Elle n'évoquait pas des endroits visités pendant les vacances. Mais tandis que sa personne était confortablement assise devant les permiers feux de cheminée, en compagnie d'Henry et Caroline, son imagination se promenait sur des grèves solitaires, à travers marais et marécages, ou l'amenait au crépuscule à l'orée d'un bois. Elle n'imaginait jamais ces endroits de jour et ne leur attribuait jamais une beauté quelconque. Ce n'était pas à quelque chose de beau qu'elle aspirait, ou alors, si déprimée qu'elle fut, elle aurait pris le chemin de fer pour aller admirer dans quelque coin de campagne les grâces molles de l'automne. Son esprit cherchait à atteindre quelque chose qui échappait à son expérience, quelque chose de mystérieux et de menaçant, mais dont elle pressentait l'affinité; quelque chose qui guettait dans les endroits désolés et qu'invoquaient le murmure de l'eau profonde et la voix des oiseaux de mauvais augure. La solitude, la tristesse, une puissance terrifiante, une sorte de sanctification impie, voilà ce qui entraînait ses pensées loin de la chambre confortable."
C'est ainsi que Laura décida de s'acheter une petite ferme à Great Mop dans la région des Chilterns.
Beaux passages lorsqu'elle découvre sa petite maison, page 108-109... J'ai vraiment adoré la deuxième partie. Toute cette sensibilité à la nature. C'est si facile d'imaginer ce que Laura peut ressentir face à sa nouvelle liberté quand on a vécu toute sa vie à l'image des autres. Retrouver son âme, tel qu'elle est, se permettre d'être ce que l'on est, sans se faire remettre en question. C'est ce qui m'a le plus touché dans ce livre.
p. 138 - "Laura avait apporté une conscience délicate à la campagne, come elle avait apporté un parapluie, quoique, jusqu'alors, elle eût négligé de se servir de l'un comme de l'autre."
Troisième partie: Ici, le texte prend tout une autre direction. C'est là où le lecteur devient un peu perdu. Car on entre dans le monde des sorcières. Laura parle au diable. Donc je suis allée voir sur Wikipédia ce qu'on en dit:
"Cette histoire d'une célibataire qui part vivre sa vie à la campagne avant de passer un pacte avec le diable démontre déjà son anticonformisme."
Et à la lecture de la préface de Geneviève Brisac on peut mieux comprendre ce qui arrive à Laura:
Sylvia Townsend Warner a une théorie là-dessus. Laura Willowes fait un pacte avec le diable comme les autres ont fait un pacte avec l'écriture et cela revient bien sûr au même. " Est-il vrai qu'on puisse tisonner le feu avec un bâton de dynamite sans le moindre risque ? Si ce n'est pas vrai de la dynamite, en tout cas, c'est vrai des femmes. Elles savent, dit Laura Willowes en conversation avec le diable, qu'elles sont de la dynamite et elles attendent avec impatience le choc qui va donner un sens à leur vie. "
Ainsi peuvent-elles acquérir ce regard profondément détaché, qui ne juge pas, ne désire pas. Cela s'appelle une évasion réussie, la liberté enfin conquise d'être exactement ce que l'on est.
Il existe un cercle magique et relativement restreint des lecteurs de Sylvia Townsend Warner. Ils se répètent entre eux les phrases cinglantes et comiques - et tout particulièrement les exceptionnelles premières phrases - des livres de cette romancière anglaise morte à quatre-vingt-cinq ans en 1978.
Ils essaient de se procurer ses livres, et c'est une gageure. Tant à Townsend qu'à Warner, elle est inconnue au bataillon. A-t-elle d'ailleurs vraiment existé ? On le soupçonne, puisqu'il reste quelques traces de sa vie, un journal nerveux, subtil, paradoxal, plein d'échos de sa passion pour Purcell, Haendel, Bach, Pergolese...
Marcher dans les mêmes chemins, scruter les ciels changeants, nommer les arbres et les plantes, faire de la confiture de fraises, visiter les mêmes boutiques, cueillir des roses, préparer le thé : la monotonie de la vie campagnarde anglaise lui convient. Elle note que les natures délicates éprouvent toujours un certain réconfort à préparer des tartines. Tout est bon pour repousser le masque familier de l'angoisse qu'elle sent si aisément se poser sur son visage. Penser. Se moquer. Comprendre
http://www.genevievebrisac.com/actu6.htm (préface de G.Brisac si vous voulez en savoir plus sur la comphréension de ce roman.
J'ai vraiment beaucoup aimé et j'ai été touchée par cette auteure que je ne connaissais pas du tout. Merci Jo! :)