Il faut laisser les cactus dans le placard
Publié chez Pocket et chez JC Lattes 402 pages
Mars 2012
Résumé:
Trois soeurs.
Marie, l'aînée, s'abrite dans son bonheur quotidien entre son mari pianiste, sa librairie de livres anciens et ses deux filles.
Anne, la cadette, vit en plein vent, au pied de son phare, à Port-Manech. Sculpteur qui n'a pas la chance d'être reconnue, elle dévore la vie, les hommes, et tente de joindre les deux bouts.
Lise, la benjamine, la plus solitaire, la plus fragile aussi, cherche désespérément une rampe à laquelle s'accrocher pour sortir de sa mélancolie et croire encore aux promesse de la vie.
Toutes les trois s'étaient éloignées de leur père, homme taciturne et froid. Mais à sa mort elles doivent se pencher malgré elles sur leur héritage familial, comprendre cet homme silencieux, son histoire. Elles cherchent alors à repenser leur existence, leur relation, libres enfin de choisir ce qu'elles veulent vraiment.
De Paris aux côtes bretonnes en passant par la Méditerranée, une saga familiale vive aux multiples rebondissements.
Mon avis:
Un magnifique roman psychologique et familial comme je les aimes! trouvé chez Suzanne . Je savais d'avance que j'aimerais ce roman. De plus, il est construit pour que chacune des femmes aient son chapître à tour de rôle. On peut les lire, nous raconter chacune de leur point de vue la relation qu'elles ont eu avec leur père.
Je n'irai pas plus loin dans mes commentaires. Je vais plutôt faire suivre plusieurs extraits que j'ai aimé.
Le livre commence avec les funérailles du père. À la page 39, Anne revient chez elle...
Port-Manech, septembre
"Bien contente d'être rentrée chez moi. J'adore ma famille, mais... ouf, j'ai eu ma dose. Je respire, enfin. Ma Bretagne, c'est mon oxygène.
La mort, l'enterrement, ma mère, mes soeurs...Ça m'a complètement vidée. Peut-être parce que je n'ai plus l'habitude de l'agitation, et que je vis trop isolée dans mon territoire du bout du monde; sur mon rocher celtique. Ou bien alors, c'est parce que j'ai tellement d'espace autour de moi, le ciel, la mer à perte de vue, que j'ai besoin de cette immensité au quotidien. C'est devenu une nécessité, un besoin vital, je ne peux plus m'en passer.
Enfin tranquille chez moi. Cela devenait urgent. D'autant qu'il faut que je me concentre, j'ai du mal à mettre de l'ordre dans tout ce qui m'arrive.
Plus loin, à la page 43, Anne nous parle de sa mère. Elles ont certains problèmes à communiquer mais elle sait quand même l'apprécier...
"Mais, à part ça, un coeur grand comme ça, Maman. Accueillante et disponible comme on n'en connaît pas beaucoup; et généreuse en plus. Elle m'a encore parlé de ses petites vieilles. Je l'imagine très bien, faisant ses tournées chez ses "chères petites amies" comme elle les appelle, les bras pleins de fleurs et de surprises, les bichonnant, leur racontant des histoires. "Je les maquille, je les coiffe, je leur fais les ongles, elles adorent..." Maman leur donne une chose infiniment précieuse, certainement plus importante pour elles: de la joie. Je sais que beaucoup l'on réclamée, avant de partir. Elles ont fait le grand saut, dans une belle chemise de nuit, avec un peu de fard sur les joues. Grâce à Maman. "Combien, déjà?" Pour me répondre, Maman m'avait montré l'étagère de sa cuisine et sa collection étrange. "Tu vois, là, ce sont leurs tasses de petit déjeuner. Elles me les ont données en souvenir d'elles, c'est moi qui leur avais demandé. Parce que c'est l'objet de leur intimité qui me fait le plus penser à elles."
Sur l'étagère, il y avait toutes les classes sociales, du bol ordinaire à la belle tasse fine en porcelaine. Moi, je ne voyais que des tasses, mais Maman, elle retrouvait des visages, et m'énumérait les prénoms "Marguerite...Paulette...Jeannine...Sophie."
"Pourquoi ça Maman?
- J'apprivoise la mort."
Réponse pudique, gravité imprévisible, c'est elle, ça aussi.
Chez Marie... p. 101
Paris, Novembre
"Il tombe des cordes, la pluie dégouline à seaux sur la vitrine. Pas un chat dans la rue déserte, à part une jeune maman imprudente, tête nue et trempée, qui traverse la rue en courant derrière sa poussette. Les feuilles mortes collent au trottoir en couches épaisses, il fait froid, très sombre. On se croirait presque à la tombée de la nuit. Je ne trouve pas la clé dans mon sac et de grosses gouttes glacées se glissent dans le col de mon manteau. Une triste journée d'automne nous attends. Mais ça m'est égal. Je sais que, dès que j'aurai franchi le seuil de la librairie, je serai hors du temps; à l'intérieur, l'atmosphère y est chaleureuse toute l'année, comme dans les pubs irlandais. J'ai beaucoup travaillé l'éclairage, et plein de petits spots mettent en valeur la matière sensuelle des reliures de cuir, la chaude harmonie de bordeaux, beige, brun, vert foncé, bleu sombre...Ma librairie est un monde en soi."
Chez Lise...qui souffre de dépression nerveuse. Son psy lui dit: Demandez-vous ce que vous voulez... P. 236
"Ce que je veux? La paix. la tranquillité. Une vie douce, sans agression, une vie qui coule toute seule. Une vie comme un bateau sur la mer: se laisser porter, aller là où le vent me pousse, regarder les belles choses, même les toutes petites, les discrètes, une abeille qui se repose sur un filet à des kilomètres du rivage, un éclat de peinture qui ressemble à un oeil, les reflets des écailles au fond de la cale. Une vie qui me donne envie de la regarder, d'être dedans parce qu'elle est belle. Et pas de la fuir tout le temps. Pas de s'embrumer la tête avec tout ce qui traîne, pourvu que la quantité d'alcool soit suffisante. Arrêter de se réfugier dans cet état second où les choses qui font mal, ne font plus mal."
Un beau roman! Bien sûr il y a une histoire en rapport avec le père et son passé. Mais comme on peut voir, tout est savamment entremêlée de délicatesse, d'atmosphère et d'émotions mais aussi, de souffrance.
Merci Suzanne! :)
L'édition JC Lattes