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La maison de Millie
9 janvier 2013

Félix Leclerc - Pieds nus dans l'aube

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Norman Rockwell

"Nous sommes tous nés, frères et soeurs, dans une longue maison de bois à trois étages, une maison bossue et cuite comme un pain de ménage, chaude en dedans et propre comme de la mie.

Coiffée de bardeaux, offrant asile aux grives sous ses pignons, elle ressemblait elle-même à un vieux nid juché dans le silence.  De biais avec les vents du nord, admirablement composée avec la nature, on pouvait la prendre aussi, vue du chemin, pour un immense caillou de grève.

C'est en vérité une têtue, buveuse de tempêtes et de crépuscules, décidée à mourir de vieillesse comme les deux ormes, ses voisins.

Elle tournait carrément le dos à la population et à la ville pour ne pas voir le quartier neuf où poussaient de ces petites demeures éclatantes, fragiles comme des champignons.  Face à la vallée, boulevard de la fauve Saint-Maurice, notre maison fixait comme en extase la lointaine caravane des monts bleus là-bas, sur lesquels se frappaient des troupeaux de nuages et les vieux engoulevents qui n'avaient pu sauter.

Rouille sur le flanc, noir sur le toit, blanc autour des fenêtres, notre lourd berceau se tenait écrasé sur un gros solage de ciment, rentré dans la terre comme une ancre de bateau pour bien nous tenir; car nous étions onze enfants à bord, turbulents et criards, peureux comme des poussins.

Une grande cheminée de pierres des champs, robuste, râpeuse, prise dans le mortier lissé à la truelle, commençait dans la cave près des fournaises ventrues, par-dessus la petite porte à courants d'air où, en mettant un miroir, on découvrait les étoiles.  Comme un moyeu de roue, elle passait entre les étages en distribuant des ronds de chaleur, puis elle débouchait à l'extérieur, raide comme une sentinelle à panache et fumait, cheveux au vent, près d'une échelle grise, couchée.  L'échelle grise et la petite porte noire de suie n'étaient pas pour l'usage des hommes, nous avait-on appris mais pour un vieillard en rouge qui, l'hiver sautait d'un toit à l'autre, derrière ses rennes harnachés de blanc.

De bas en haut, de haut en bas, notre chez-nous était habité: par nous au centre, comme dans le coeur d'un fruit; dans les bords, par nos parents; dans la cave et la tête, par des hommes superbes et muets, coupeurs d'arbres de leur métier.  Sur les murs, les planchers, entre les poutres, sous l'escalier, près des tapis, dans le creux des abat-jour, vivaient les lutins, le bonhomme sept-heures, les fées, les éclats de chant, Lustucru, les échos de jeux; dans les veines de la maison, courait la poésie. 

Nous avions la chaise pour nous bercer, le banc pour faire la prière, le canapé pour pleurer, l'escalier à deux marches pour jouer au train; aussi, de ces jouets savants que nous n'osions toucher, telle cette bête à deux fils, au long bec, sonnerie au front qui conversait avec les grandes personnes.  Un prélart fleuri devenait un parterre; un crochet, c'était l'écrou pour rouler les câbles de nos bateaux imaginaires; les escalier servaient de glissoires; les tuyaux le long du mur, de mâts; et les fauteuils, de scènes où nous apprenions avec les chapeaux, les gants et les paletots des aînés, les grimaces que nous faisons aujourd'hui sans rire."

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Commentaires
M
@Niki, Je sais que Félix Leclerc se produisait en spectacle en France. J'adore sa prose et Norman Rockwell, ... que dire! Il me semble que quand j'étais jeune, je voyais ces illustrations sur des calendriers??? <br /> <br /> Contente de te retrouver Niki!! :)
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N
j'aime beaucoup ce chanteur, il avait une voix magnifique :D<br /> <br /> et j'aime aussi beaucoup norman rockwell
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M
@Rose et Marielle, En avez-vous aussi des lutins et des fées de caché sous vos escaliers et sous les planchers? :D Rose, il me semble que tu as des poutres chez toi, non? <br /> <br /> C'est notre 'Colette' Québecois! Mais ce petit bout de texte est juste le début du livre: Je vous en donne un autre petit bout mesdames: <br /> <br /> <br /> <br /> "Au premier étage s'alignaient les chambres à coucher des enfants. Il y en avait huit, je crois, que garçons et filles se partageaient. Chez les filles, c'était plus propre, plus rose, plus aéré, plus aérien que dans nos garçonières. Sur leurs murs, elle piquaient des cadres minuscules, des silhouettes gracieuses et des brindilles de fleurs; sur les nôtres, nous collions de grossiers et immenses calendriers: chasseurs à l'affût, bonshomme fumant du tabac frisé...<br /> <br /> <br /> <br /> Notre chambre, la plus spacieuse de l'étage, donnait sur le jardin, un minuscule jardin de terre noire, rempli comme une corbeille, coupé de droits petits sentiers que nous arrosions chaque soir sous l'oeil des lapins.<br /> <br /> <br /> <br /> Quelle belle plume! :D
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M
Ah et bien je dis tout comme Rose !!!! hiiiiiii
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R
Oh la la .... mais comment fais-tu Milly pour me donner envie de lire toujours des nouveaux livres... à chaque fois inconnus au bataillon et à chaque fois avec le sentiment d'urgence et l'impression de passer à côté du chef-d'oeuvre qui m'attend depuis toujours !<br /> <br /> Grrrrr ... il va falloir que j'aie une petite conversation avec mon banquier <br /> <br /> Je crois que je vais lui donner l'adresse de ton blog comme ça il va compatir ;-)<br /> <br /> Passe une belle soirée
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La maison de Millie
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