Maude Favreau
Les Éditions Druide
2013
235 pages

Quatrième de couverture:
Il fallait le faire. Il fallait oser. Mais il fallait surtout réussir. Pari tenu! Maude Favreau redonne la parole à une narratrice enfant. D'autres, entre-temps, s'y sont cassé la plume. Mais la Valentine de Maude Favreau est charmante, arrogante, délinquante et drôle; elle saura vous étonner, vous bouleverser.
C'est l'histoire vue à travers les binocles d'hypermétrope d'une enfant qui vit avec sa mère dans les années 80. Une histoire captée par ses mains, son nez, sa bouche, son coeur qui bat à des kilomètres à l'heure. Valentine s'enflamme pour un quotidien transformé au fil de son imagination foisonnante, une imagination qui explique bien des situations étranges. Valentine vit sa vie d'enfant entourée d'adultes, Valentine n'est pas à l'abri des difficultés, mais Valentine ne ferme les yeux sur rien ...
* * *
Mon avis: Du bonbon! Un roman rafraichîssant à souhait! Celui que j'étire, qui me fait revenir en arrière pour que Valentine, la narratrice, me redise encore ses dernières "expressions"... J'ai aimé! Je ne peux pas vraiment en dire plus, car l'histoire est une collection de petits tableaux qui s'enlignent les uns après les autres. Mais la fin m'a attristé pour Valentine. Petite fille très attachante!
Un extrait:
L'accoucheur de lumière
"Une des choses que j'aime le plus ici, (elle vient d'arriver chez son grand-père, pour y passer des vacances d'été) à part chasser les framboises, promener le chien de Primo, faire du bateau, me baigner, arrêter de me laver, manger du dessert, aller à la pêche au crapet, salir les planchers et jouer du piano, c'est de passer du temps avec grand-pap Tho, et tirer avec lui le poids de ses quatre-vingts années. Mon grand-père est un arbre rempli de vieux temps. Le temps d'avant qui se déroule au creux de ses mots.-
Grand-papa, il sent le sous-bois, la terre humide et les champignons, et ses bâtons de marche sont des racines quand sa tête veut toucher le ciel, comme s'il avait des branches dans les oreilles connectées sur l'univers. Quand il parle, son dentier claque pour traduire en morse tout ce qu'il dit. C'est un penseur des bois, un magicien de l'aube qui fait chanter les huards et couler le ruisseau, un sage au ralenti qui mange du cheddar aussi vieux que lui.
La nuit, grand-pap se lève pour se confectionner des potions étranges. Au clic de la lumière vissée sous l'armoire de cuisine, je passe la tête par la porte de ma chambre pour l'observer. Les yeux à demi fermés, il évolue au radar. Ses bottines de Charlot guident les pas refaits tant de fois, de l'évier au frigo et du grille-pain à la bouilloire. Puis, de la fenêtre, un rayon de jour attire son regard. Alors son bras actionne le bouton de la radio. Petit à petit, l'aube et la musique s'entremêlent: un choeur, des violons, un pinceau de lumière, et pour tout vous dire, c'est un rêve, le jour qui se lève dans le visage de mon grand-père.
- Ha ben! Petite tonnerre! je t'ai réveillée!
- J'ai faim
- Veux-tu du jambon? Pis y,a d'la bonne confiture de fraises d'Iris, aussi.
- OK!
Les yeux collés, je grimpe sur le tabouret pendant qu'il me prépare un café de céréales. Ensemble, nous contemplons le monde qui émerge de l'obscurité.
- Valentine, tu vois la lumière? Tous les matins, je la surveille pour être sûr qu'elle va réussir à percer les défenses de la noirceur.
- Ha oui? que je fais, les yeux écarquillés.
- À chaque aube, le soleil veut toucher la Terre, mais la nuit refuse, tu comprends? Alors il doit travailler très fort pour trouer les ténèbres, comme une aiguille à broder dans un tissus épais.
- C'est pour ça que tu te lèves aussi tôt? Pour accoucher la lumière?
Grand-papa sourit en me tenant une tasse bien chaude. Je m'assois face à la fenêtre entrebaîllée. Un à un, les oiseaux se metent à chanter, alors je sors dans le demi-jour pour assister au réveil de la forêt. En maestro des étourneaux, des mésanges, des piouis et des corneilles, je dirige le choeur ailé en rigolant comme le ruisseau. Les odeurs montent de la terre humide quand mes pieds secouent la rosée. Tout le paysage m'absorbe, je suis pleine d'un bonheur concret, mais la fatigue me rattrape, et je cogne des clous une fois la chorale sur son erre d'aller.
- T'es-tu morte?
- Je fais la grosse matinée, Auguste-à-la-langue, veux-tu bien me laisser tranquille!
- Pis après que je t'ai laissée tranquille, vas-tu venir jouer avec moi?
Maudit fatiquant! Voir si ça me tente! Onze heures? Ça veut dire que j'ai raté le déjeuner avec Julien. Et puis où est le soleil de ce matin? De gros nuages embuent l'atmosphère. Au loin, l'horizon brumeux ne laisse planer aucun doute: le beau temps nous a quittés pour la journée." P. 107