Un passage de Kate Morton tiré de son roman "Le jardin des secrets"!
Un passage qui donne le ton du roman.
L'extrait que j'ai choisi se passe à Brisbane en Australie. Cassandra s'en va rejoindre sa grand-mère qu'elle a vu peut-être 5 fois dans sa vie. Elle avait toujours été un peu impressionnée, même effrayée par Nell.
Arrivé à la petite maison, Lesly envoya Cassandra jouer dehors pendant qu'elle devait discuter avec sa mère Nell, dans le but de lui confier sa fille, durant un 'court séjour'.
***
« C'était une de ces périodes très chaudes et très sèches, caractéristiques des antipodes, où les journées semblent se succéder sans interruption, telles des perles sur un collier. Les ventilateurs ne faisaient que brasser l'air chaud, on était assourdi par les cigales, on s'épuisait à respirer et il n'y avait plus qu'à rester allongé sur le dos à attendre que passent janvier et février; après quoi venaient les tempêtes de mars et finalement les rafales d'avril.
Mais cela, Cassandra n'en avait pas conscience. Elle avait la robustesse des enfants nés sous des climats extrêmes. En sortant, elle fit claquer la porte à moutiquaire et prit l'allée du jardin. Des fleurs de frangipaniers tombées par terre cuisaient au soleil, noires, sèches, racornies. Au passage, elle les écrasa soigneusement sous sa chaussure et prit un certain plaisir à voir tout ce noir tacher le ciment blond.
Elle alla s'asseoir sur un petit banc métallique, au milieu de la clairière où aboutissait l'allée, en se demandant pendant combien de temps elle devrait «s'amuser toute seule dans le jardin bizarre de sa mystérieuse grand-mère. Elle regarda vers la maison; de quoi pouvaient-elle bien parler, toutes les deux? Qu'étaient-elle venues faire là, au juste? Mais elle avait beau retourner ces questions dans sa tête et les examiner sous tous les angles, aucune réponse ne se présentait.
Cassandra reprit le sentier. Comme elle voyait toujours se profiler Nell et Lesley à travers la gaze de la moustiquaire, elle contourna la maison. Sur le côté se trouvait une grande porte coulissante en bois; la fillette tira sur la poignée et se retrouva face à la pénombre fraîche du sous-sol.
Le contraste était tel avec la luminosité extérieure qu'elle eut la sensation de pénétrer dans un autre monde. C'était un vaste espace, mais Nell s'était employée à le combler. Sur trois côtés s'entassaient des cartons et contre le quatrième mur était appuyé un assortiment de porte et de fenêtres dépareillées, avec parfois un carreau cassé. Le seul endroit dégagé était une porte, au fond ouvrant sur ce que Nell appelait «le studio». Cassandra alla y jeter un coup d'oeil; c'était grand comme une chambre à coucher, avec de part et d'autre des étagères improvisées chargées de livres anciens, et contre le mur du fond un lit pliant recouvert d'une courtepointe en patchwork rouge, blanc et bleu. Un soupirail laissait entrer un peu de lumière mais on y avait cloué des planchettes; à cause des cambrioleurs, supposa Cassandra. Mais que pouvaient-ils espérer trouver d'intéressant dans cette pièce?
La petite ressentit une forte envie de s'allonger sur le lit, de sentir la fraîcheur de la couette sous sa peau chauffée par le soleil, mais Nell avait été bien claire sur ce point: elle pouvait jouer au sous-sol mais pas entrer dans le studio; or, Cassandra était une enfant obéissante. Alors, elle se détourna et regagna l'endroit où un enfant avait jadis dessiné une marelle sur le sol en ciment. Elle chercha un caillou sans apérités, le fit rouler - lancer impeccable: il atterit en plein milieu de la première case - puis se mit à sauter à cloche-pied. Elle en était à sept quand lui parvint, à travers le plafond depuis la pièce au-dessus, la voix de sa grand-mère, tranchante comme du verre brisé.
- Mauvaise mère!
- Pas pire que toi!
Elle lança le caillou dans un coin et s'éloigna de la marelle.
Il faisait trop chaud pour ressortir. En fait, ce dont elle avait vraiment envie, c'était de lire. S'évader dans le bois enchanté, grimper dans l'Arbre magique d'Enid Blyton ou au château de Mauclerc avec le Club des cinq. Elle visualisait le livre, posé sur son lit où elle l'avait laissé le matin même, à côté de l'oreiller. Elle se maudit de ne pas l'avoir emporté et se l'entendit reprocher par la voix de Len, comme toujours quand elle faisait une bêtise.
Elle repensa aux rayonnages de Nell, tous ces livres anciens le long des murs...Nell ne serait quand même pas fâchée si elle en choisissait un et s'installait quelque part pour le lire. Elle ferait bien attention à ne rien abîmer, à tout laisser en état.
Dans le studio planait une entêtante odeur de poussière et de temps passé. Cassandra laissa son regard courir le long des tranches rouges, vertes et jaunes des ouvrages en attendant qu'un titre attire son attention. Sur la troisième étagère était allongé un chat tigré, dans un rai de soleil. Comment était-il entré sans qu'elle s'en aperçoive? Sentant qu'on l'observait, il se releva en contemplant Cassandra d'un air plein de majesté Puis il sauta à terre, dans un mouvement fluide, et fila sous le lit.
Cassandra le suivit des yeux. Qu'est-ce que ça faisait de se déplacer ainsi, sans effort apparent, et de disparaître sans laisser de trace? Enfin, pas tout à fait: là où l'animal était passé sous le duvet, qui retombait jusqu'à terre, quelque chose, à présent, dépassait. Quelque chose de blanc et rectangulaire, pas très grand.
Elle se mit à genoux, souleva le bord de la couette et risqua un oeil sous le lit. C'était une valise ancienne dont le couvercle, un peu désaxé, laissait entrevoir l'intérieur. Des papiers, du tissus blanc, un ruban bleu.
Une certitude l'envahit. Il fallait qu'elle sache ce que contenait cette valise. Le coeur battant, elle la tira et cala le couvercle ouvert contre le côté du lit.
Une brosse à cheveux en argent, ancienne, sûrement précieuse, avec la petite tête de léopard signifiant Londres poinçonnée près des soies. Une jolie petite robe blanche, vieillotte, comme elle n'en avait jamais vu, et encore moins porté.... une lisasse de papiers attachés par un ruban bleu. Le noeud parut se défaire tout seul sous ses doigts, révélant un dessin en noir et blanc. Une belle dame sous une tonnelle. Ou plutôt non, à l'orée d'une espèce de tunnel d'arbres. Un labyrinthe, songea Cassandra. Le mot lui vint spontanément.
Ce dessin lui était vaguement familier...La dame semblait tout droit sortie d'un livre d'images pour enfants. Comme une illustration pour conte de fées d'autrefois - la jeune fille qui se transforme en princesse le jour où le beau prince devine qui elle est sous ses haillons.
Elle posa le dessin par terre à côté d'elle et reporta son attention sur le reste de la liasse. Quelques enveloppes contenant des lettres aux timbres étrangers et un carnet...
Sous le carnet, un recueil de contes. La couverture cartonnée était verte, le titre en lettres d'or: Contes magiques pour filles et garçons, par Eliza Makepeace. Cassandra répéta à voix haute le nom de l'auteur, dont le mystérieux bruissement sur ses lèvres lui plaisait. Elle ouvrit le recueil et découvrit sur le rabat de couverture, un dessin représentant une fée dans un nid d'oiseaux, avec de longs cheveux ondulés, une couronne d'étoiles et de grandes ailes translucides. En y regardant de plus près, Cassandra vit qu'elle avait le même visage que sur l'autre dessin. Une ligne d'écriture en pattes de mouche suivait la courbure du nid:
«Votre conteuse, Miss Makepeace».
Présentement, j'en suis à la page 300. C'est un pur bonheur de lecture... J'ai hâte de revenir vous en parler! :)
J'ai choisi ce passage, parce que l'auteur sait si bien démontrer la capacité qu'ont les enfants de ressentir et d'observer les choses nouvelles, les comportements, s'arrêter et insister sur les détails. Mais surtout, la grande place qu'ils donnent aux rêves et à la magie. Kate Morton garde cette constance tout au long du livre, car autant on prend connaissance de l'enfance de Cassandra, autant nous connaitrons celle d'Eliza et de Nell.
à bientôt! :)