Le sourire de la petite juive

ABLA FARHOUD

Publié chez VLB éditeur

2011

209 pages

Quatrième de couverture:  Une fresque composée des résidents de la rue Hutchinson, à Montréal, où l'auteur fait se succéder des personnalités d'origines et de cultures différentes menant des vies parallèles.

Qui n'a jamais effleuré l'idée, le soir en marchant sur une rue aux maisons éclairées, de s'immiscer un instant à l'intérieur des appartements et d'en savoir un peu sur l'intimité de ceux qui y vivent ? C'est ce que fait pour nous l'un des personnages de "Le Sourire de la petite juive", la romancière Françoise Camirand, qui entreprend d'écrire un livre sur la vie de voisins qu'elle côtoie.

* * *

Mon avis:  Une belle rencontre avec cette auteur que je ne connaissais pas.  Un roman original, qui ne ressemble à rien. 

Au début on entre dans ce roman avec la lecture d'une page du journal intime d'Hinda Rachel, la petite juive.  On fait ensuite la connaissance de Françoise Camirand, l'écrivaine. 

Chaque chapitre porte le nom d'un personnage qui habite la rue Hutchison.  Les deux personnages principaux:  Françoise et Hinda Rachel, reviendront régulièrement.  On entend Françoise penser à son roman, à ses personnages.  Elle nous raconte des petits bouts de sa vie. 

Quant à  Hinda Rachel, elle tente du mieux qu'elle peut d'écrire son journal.  Les moments de solitude lui sont rares, elle doit s'occuper de ses petits frères, aider sa mère.  Elle lit à répétition Bonheur d'occasion de Gabrielle Roy en cachette. 

Et il y a tous les autres personnages de la rue:  Un chanteur populaire sur le déclin, un critique redoutable qui craint les représailles, une dépressive qui se réfugie dans la lecture effrennée de polars...  Tous des gens différents soit dans leur portrait ou leur origine et culture.

En quatrième de couverture: 

"La romancière entreprend d'écrire sur la vie de ses voisins qu'elle côtoie depuis près de quarante ans, et Hinda Rachel, une jeune juive hassidique, confie à son journal intime ses observations et sa révolte à l'idée de suivre le chemin qu'on a tracé pour elle.  Tous les thèmes chers à Abla Farhoud sont ici déployés avec finesse et bonheur, pour tenter de comprendre ce qui nous sépare et ce qui nous rassemble.  Elle nous offre aujourd'hui un roman de la réconciliation et du sourire."     

En parcourant les chapîtres, j'ai fini par avoir une hésitation.  Je me demandais où ça menait tous ces portraits de personnages qui défilent les uns après les autres...  Mais vers la fin du roman, on comprend que tout ce petit monde se tient.  L'idée de l'auteure prend tout son sens. 

Elle apporte un beau choix de réponse sur le sens de la vie.  Quand j'ai eu tourné la dernière page, j'avais juste envie de recommencer le roman du début; le relire avec une vision plus claire des choses.  Un beau roman que je vais relire et relire encore et y coller mes petits coeurs rouges à bien des endroits, parce que ce livre est remplie de passages qu'on ne veut pas oublier.

De petits extraits: 

p. 39 - Françoise Camirand

Un matin, elle s'est levée, a ouvert un dossier tout neuf, a tapé:  PORTRAITS DES GENS DE MA RUE (TITRE PROVISOIRE).  Et c'était parti!  Les décisions importantes, elle les prenait toujours le matin...

Dans les parcs, avec un livre et un petit carnet, elle attend que quelque chose vienne titiller son imagination.  Elle passe et repasse devant la synagogue au coin de Saint-Viateur et essaie de comprendre.  Elle voudrait se glisser par la porte de côté avec les femmes, et assister à une cérémonie.  Elle se demande, en sachant déjà la réponse:  "Est-ce qu'elles me laisseraient entrer?"

p. 51 - Thérèse Huot

Elle n'invitait jamais personne chez elle  sauf les chats, les chiens.  Les écureuils s'invitaient tout seuls, et les oiseaux avaient leurs nichoirs en permanence avec des graines de toutes sortes en quantité.

Thérèse Huot ne sortait jamais de chez elle par la porte d'en avant.  Elle empruntait la ruelle, à deux pas de l'Avenue du Parc.  Même l'hiver, et au risque de se faire mal au dos, elle se déblayait toujour un chemin.  La ruelle était le prolongement de sa cour, et elle s'y sentait bien, malgré les détritus et les camions qui rendaient la marche hasardeuse.  Mais qu'est-ce qu'elle n'aurait pas fait pour voir un nouvel animal qu'elle ne connaissait pas encore, et emietter quelques tranches de pain toujours fourrées dans son sac en faisant des sons bizarres qui attiraient les oiseaux et faisaient sourire les camionneurs.

p. 104 - Jacinthe Beaulieu

Souvent elle aurait préféré ne pas être née.

   L'existence de Jacinthe Beaulieu vacillait entre vivre l'enfer ou l'appréhender.  Si un petit bout de ciel apparaissait, il était toujours troué par l'inquiétude, et tant qu'à faire, autant s'en passer.

p. 139 - Martine Saint-Amant

Elle lisait comme on se réfugie.

   Dès le réveil et jusqu'au moment de s'endormir, même parfois la nuit quand elle ne parvenait pas se rendormir, elle lisait des romans policiers.  C'était la seule chose qu'elle arrivait à faire.  Lire des polars la captivait, lui procurait du plaisir, la faisait voyager, lui permettait de ne plus penser à ce qui lui était arrivé.

p. 178 - Xaroula et ses soeurs  (Quel beau chapître)

....p. 181

En cette belle journée de mai, les trois soeurs sont assises sur le balcon dans des fauteuils rembourrés et confortables.  L'une lit un roman, l'autre feuillette un magazine et la troisième écoute de la musique.  Elles ont l'air calme.  Adhriani dépose son livre sur ses genoux et regarde la rue Hutchison qui n'a pas beaucoup changé depuis qu'elle sautait à la corde avec Eliana.  Le trottoir çôté Mile End a été élargi et les arbres ont grandi, c'est tout.    ......   Adhriani regarde ses soeurs et éclate de rire. 

Elle leur dit en grec:  "On a travaillé comme des dingues, Eliana et moi, pendant des années, à se démener à cent milles à l'heure pour se faire une place au soleil et un peu d'argent.  Et pourquoi?  Pour revenir exactement à la même place, sur le même balcon, à regarder la vie passer devant nous, comme si on était jamais parties!  C'est Xaroula qui avait raison!"  Et elle riait..."Vous ne trouvez pas mes soeurs, que nous ressemblons aux trois Grâces?!  La beauté, l'art, la fertilité,  les trois Grâces de la mythologie Grecque, c'est nous!  Xaroula, la beauté, Eliana, l'art, et moi la fertilité!  Mes enfants ne veulent plus me voir, mais ils sont quand même sortis de mon ventre!"  Et elle riait... 

p. 185 - Willa Colleridge

..... p. 191 - Lui vint soudainement à l'esprit une pensée qui la fit sourire.  Si quelqu'un arrivait chez elle et lui disait, à elle qui était noire de naissance:  "je veux devenir Noir", elle rirait, c'est certain.  Si elle demandait aux juivies la permission de faire partie de leur communauté, elle éclateraient de rire, c'est sûr et certain.

   On ne devient pas Noir tout comme on ne devient pas hassid, elle le savait maintenant.

p. 194 - Marie Lajoie.    Ce personnage, je le garde pour moi toute seule et je vous laisse le bonheur de le découvrir.  C'est le personnage le plus intéressant de la rue.  C'est la maturité, la sagesse, la réflexion,  Marie Lajoie, c'est celle qui a eu une belle vie, celle qui nous donne de beaux choix de réponse, qui nous fait réfléchir.  Elle a 89 ans.

Je ne peux que vous suggérer ce livre avec tout plein d'atouts.