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La maison de Millie
10 avril 2014

Un bal chez les fleurs - partie 2

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Champignon - Deux heures de l'après-midi.  Allô.  Vous me reconnaissez?  Je suis le champignon que le pissenlit a insulté ce matin.  N'ayez pas de sympathie pour  moi:  je suis habitué, c'est dans l'ordre des choses.  Quoi de neuf au parterre des Pousses-Bleues?  Pas grand'chose, sinon que la journée parait bien longue à tous.  Je ne sais si vous les entendez, mais les musiciens-insectes, les poètes à élytres, les sauterelles-violons sont à répéter leur musique dans le creux des cailloux; là-bas, où il y a de l'écho.  On se prépare pour le bal.  D'ici, du bord de ma clôture, je verrai très bien le spectacle. 

   Je ne suis pas sous la juridiction de la reine, hélas, mais tout ce qu'elle décide m'intéresse follement.  Le vent passe dans mon large chapeau, je me balance, je suis ravi, bouleversé par ce que je vais voir ce soir.  Non que je danserai.  Oh non.  Pas moi.  Je ne suis pas une fleur et deuxièmement, je ne sais rien des compliments de la cour.  Jamais je n'aurais l'audace d'enlacer une danseuse, fût-elle une simple marguerite du peuple.  Mais quoi, moi champignon, j'adore les fêtes, les couleurs et il faut bien le dire pour l'intelligence de ce conte, quitte même à scandaliser ces dames d'honneur et à faire sourire les prétendants empanachés, approchez-vous:  je suis amoureux.  D'une champignonne comme moi?  Non pas.  De quelque brin d'oseille ou d'une gaillarde petite rapace?  Encore non.  Je le dis sur le fin bord de mon âme parce qu'il le faut bien :  je suis amoureux de celle qu'il ne faut pas: de la reine.

Violette - Pissenlit, crois-tu que la reine va danser?

Pissenlit - Qu'est-ce que ça me fait?  Moi, je danserai, mais j'aurais l'oeil ouvert.

            Encore là champignon?

Champignon -  Oui monsieur, encore ici.

Pissenlit      -   Vas-tu danser ce soir?

Champignon -   Non monsieur, je ne suis pas une fleur.

Pissenlit      -   Je suis de ton avis, rapace!

Violette      -    Laisse-le.  Attache mon collier, veux-tu?

Pissenlit      -   Dormons un peu si nous voulons êtres belles.

Champignon -   Pourquoi suis-je amoureux d'une reine?  Il ne faut pas être amoureux des reines...

* * *

Poète -  Sept heures, mesdames et messieurs.  Maintenant le soir vient.  D'abord à ras le sol presque chez les racines, puis sur les tiges.  Voilà qu'il fait brun chez les toutes petites pousses qui dorment déjà.  Le soleil, témoin tout le jour de la préparation de la fête, colle des rayons mauves au ventre de plusieurs petits nuages tout ronds et, discrètement, bascule derrière la montagne.  Je crois que c'est le signal.  Je ne me suis pas trompé. Mouches à feu apparaissent.  Un gros quatre-saisons fait signe aux sauterelles de nuit.  Mesdames, messieurs, le bal commence...

   Spectacle merveilleux!  Bégonias et tulipes s'enlacent tendrement.  Chiffons bleus et mantes rouges, jabots verts, corolles blanches se mettent doucement à valser, innondant de révérences sa gracieuse majesté qui se tient au milieu, entourée de jonquilles.  Spectacle ravissant! Le bal est commencé...entendez la musique ...

* * *

Champignon - C'est encore moi, le champignon.  Haussé sur mon petit nid bot, un brin de muguet sur mon chapeau de travers et les épaules à la brise, je rythme la musique des fleurs.  C'est merveilleux! Lis, lilas, orchidées, bégonias et même une famille de pieds-de-veau sont à la fête au crépuscule.  En haut des branches, j'aperçois plusieurs oiseaux qui se délectent  l'oeil devant ces ravissantes couleurs.  Ils ont raison.  Si j'étais un oiseau, j'en ferais autant.  E moi, je rêve en extase à quelques pas de ma reine.  Ce qu'elle est belle ce soir... Ni les feuilles savantes, ni les tiges subtiles, ni les philosophes perce-neige, personne ne sait que je donnerais ma vie pour elle!

Poète - Le bal bat son plein.  La reine va danser tout à l'heure.  De vieux ambassadeurs à collet doré, donnent le bras aux duchesses pour un tour de menuet.  Je vois deux ministres géraniums près de la rangée de lis; ils parlent certainement d'améliorer le domaine.  La nuit sera claire, tout est splendide.  Les gouttes d'eau au sommet de la fontaine, là-bas, ressemblent à des guêpes bondissantes.  Combien de petites frimousses, ce soir, reçoivent, émues, les premières confidences de galants faiseurs de sonnets!  Le bal triomphe.  Le peuple s'amuse.  La reine semble n'avoir jamais eu de chagrin.

Champignon - Excusez-moi monsieur...

Poète  -   Nous allons maintenant

Champignon - Vous vous trompez.  Permettez?  Qui vient là par la gauche? 

Poète  -  Comment? Qui ose?

Champignon -  Des pas. Un mulot? Un lapin? Quelque  brute de chèvre écervelée? Non.

Poète  -  Qui vient là.

Champignon - Deux hommes. Mais c'est défendu.

Poète  -   Qui sont-ils?

Champignon - Je ramène mon chapeau sur mes cils et je suis de l'oeil les maraudeurs.  Les deux hommes s'avancent.

Poète  -    Que veulent-ils?

Champignon - Le plus petit tient un sac sous le bras.  L'autre est armé d'un instrument plus terrible qu'un fusil.

Poète -      Un sécateur!

Champignon - Un sécateur! Non! Arrêtez! Sauvez-vous messieurs! Ici la cour s'amuse, c'est le soir de la reine! Ils m'ont enjambé grossièrement.  Les voilà qui envahissent le parquet royal.

Poète -       Que se passe-t-il? La musique cesse.  Deux hommes, mesdames, messieurs, deux intrus viennent saccager le décor.  Ces pauvres hommes, pourquoi ne peuvent-ils pas rester chez eux plus souvent?  La scène change.  De charmante et gracieuse qu'elle était, la voilà tendue, difficile.

Champignon - On fuit.

Poète -        Ceux qui peuvent fuir comme les musiciens, fuient.  Mais les fleurs ne peuvent pas, malgré leurs ailes.

Champignon - Que va-t-il se passer?  Arrêtez!  Sacrilège! Vous êtes assez loin, messieurs.

Poète -        Grand tumulte dans la cour royale.  Seigneurs bégonias, épines hérissées, couvrent leur dame.  Les roses sortent leur piquants; les herbes à la scie, leur scie; les autres, leurs échardes et c'est l'attente.  Une fière rangée de jeunes glaïeuls, piques en avant, protègent la reine. 

   Le bal allait trop bien.  Trop vite nous nous sommes réjouis.  Le sécateur est penché dans l'herbe.  Clic! Il a osé!

Champignon - Qui est-ce?

Poète - On a coupé un morning glory.

Champignon - Incroyable! La guerre?

Poète - On saisit la reine au collet et clic! Dans le sac ainsi que cinq grands lis qui gardaient le peuple!

Champignon - Je vengerai la reine! Je vengerai la reine! Arrêtez!

* * *

à suivre...

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Commentaires
M
@Jeanne! Bon matin! Alors tu viens tourbillonner par ici comme une petite abeille dans les fleurs de Félix! :D <br /> <br /> C'est plus lent comme récit.. tu vois ce fut écrit en 1948 et publié en '49.. Mais quelle belle plume! Tu as lu la série de Félix Leclerc: Adante, Allegro et Adagio? C'est classé jeunesse en bibliothèque.
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C
Oh mais ça devient passionnant! Je n'avais pas vraiment embarqué dans la première partie, mais là j'éprouve de la compassion pour ce champignon... Je m'en vais lire la suite. :)<br /> <br /> <br /> <br /> Ça fait trop longtemps que je n'ai pas fait le tour des blogs, moi... cette semaine a été un tourbillon.
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M
@Niki, Merci! :D Tu sais ce qui m'est arrivée aujourd'hui? En payant à la caisse quelques articles de papeterie d'une grande surface, la jeune fille m'a demandé si j'avais en haut de 55 ans, car je pouvais obtenir un rabais de 10% sur ma facture... Ahhhh Misère je lui ai dit mon âge pour un pauvre rabais de 10% et je l'ai obtenu... C'est une première pour moi. Les rabais en fonction de l'âge!!! :D
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S
quelle belle illustration pour un beau texte, chère milly - je délaisse un peu les blogs pour les raisons que tu connais, mais le tien reste réellement le lieu où il faut se retrouver pour se ressourcer :D
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M
@Opaline, En fait ce livre de Félix Leclerc est rempli de courtes fables ou conte comme celle-ci. Comme s'il donnait une âme à ces végétaux. Une autre très jolie aussi: Histoire de cinq petit lapins. C'est la deuxième du livre. :)
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